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CANSELIET Nicolas Flamel.



Eglise Saint-Jacques-de-la-Boucherie à Paris


NICOLAS FLAMEL

Etude historique précédant Le Livre des Figures Hiéroglyphiques de Nicolas Flamel, 
dans la collection Bibliotheca Hermetica, S.G.P.P. Denoël, 1970

EUGÈNE CANSELIET


Comme nul auteur ne l’avait fait avant lui, notre vieux maître Fulcanelli a interprété et commenté la fraction intensément active de la vie de Nicolas Flamel, laquelle se développa dans l’agitation et les conséquences temporelles de l’effort opiniâtre. Ainsi a été traitée à fond la question majeure du problème, à savoir l’ésotérisme indéniable d’une biographie savamment détaillée par son héros lui-même, que mut sa volonté charitable de traditionnelle initiation (1).

Il nous reste à tenter une étude plus générale, un essai qui sera modeste en somme, et dont il peut sembler difficile qu’il se montre de quelque portée, après l’important travail que l’abbé Villain assit sur les réalités impitoyablement terre à terre, en l’y poussant très loin, mais, il est vrai, dans la morne banalité et la minutie stérile des documents de tabellionnage (2) .

Deux principaux motifs nous incitent à reprendre ce sujet en apparence épuisé par le laborieux ecclésiastique. Ils s’attachent à son livre même qui, tout d’abord, vieux de bientôt deux siècles, n’est pas à la disposition de tous, du fait que, rare et de coût prohibitif, il doive être le plus souvent consulté dans les bibliothèques; ensuite, conçu dans le parti pris fermement contempteur, il ne saurait présenter toute l’impartialité garante d’une valeur et d’une autorité réelles.

C’est bien là ce que souligna, sans ménagement, dans sa préface, Albert Poisson, écrivant, lui aussi, il y a soixante années, une biographie du populaire alchimiste parisien, pleine de mérite et qui vaut assurément d’être complétée :

« … On n’avait sur Flamel que l’histoire de l’abbé Villain, riche en documents, mais mauvaise en ce sens qu’elle est terriblement partiale et que l’auteur s’efforce de démontrer une thèse préconçue : Flamel n’a jamais été alchimiste (3) . »

Evidemment encore, l’abbé Villain était dans la plus profonde ignorance des principes élémentaires de l’alchimie, démontrée en même temps que sa mauvaise foi, par le sentiment que, convaincu et péremptoire, il fournit, sans ambages, à l’occasion de sa réponse à dom Pernety, tenant, bien sûr, pour l’opinion contraire :

« Un saint homme, auteur de tant de pieuses fondations, ne pouvait commettre un acte aussi indélicat, ni se compromettre avec l’enfer en se prêtant à l’initiation hermétique (4). »

Si le distingué prêtre de Saint-Jacques-la-Boucherie avait su que nombre d’ecclésiastiques de toutes dignités - moines, abbés, cardinaux et jusqu’à certains papes - s’adonnèrent à l’alchimie du laboratoire, il n’eût pas prononcé aussi inconsidérément une sentence d’interdit à ce point exécratoire. On verra, dans notre essai relatif au moine d’Erfurt et à son savant traité, comment nous avons fait justice de cette opinion fausse que l’Eglise eût jamais anathématisé les travaux hermétiques, à la manière d’une hérésie détestable (5).

Albert Poisson a résumé cette lettre de l’abbé Villain, déjà introuvable de son temps sous sa forme imprimée, venue entre ses mains grâce à l’obligeance de Stanislas de Guaïta et que nous avons nous-mêmes vainement recherchée à la Bibliothèque Nationale (6). Cette épître fut suscitée, nous l’avons dit, par celle que Dom Pernety, bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, adressa publiquement à l’auteur de l’Histoire critique et que nous avons trouvée au Département des Imprimés, rue de Richelieu (7). Ce document, en quelques points nettement établis, où la logique s’allie à l’évidence, sape, dès la base, l’ouvrage laborieusement édifié, dans l’unique dessein d’enlever à Flamel sa réputation d’alchimiste. Ainsi, dom Pernety, envisageant le fatras indigeste des pièces d’archives accumulé par l’abbé Villain, constate-t-il non sans vérité et sur le ton plaisant :

« Peut-on raisonnablement s’imaginer qu’un Philosophe Hermétique doive s’afficher tel ? Et M. l’abbé V… a-t-il pensé trouver Flamel Philosophe dans les contrats de rentes, les quittances, etc. de Flamel homme privé ?

Falloit-il employer plus de 400 pages pour nous accabler du détail minutieux de ces rentes, de ces quittances, etc. de Flamel se conduisant comme Bourgeois bon Chrétien ? M. l’abbé V… pour se convaincre que Flamel mérite le nom de Philosophe, voudroit-il que dans les contrats qu’il a faits, dans les quittances qu’il a reçues ou données, il ait signé Nicolas Flamel, Philosophe Hermétique ?  » (8)

Dom Pernety, né à Rouane (Roanne) dans le diocèse de Lyon, était-il alors le chef d’une société secrète d’alchimistes et d’illuminés établie en Avignon ? Ce qui est certain, c’est que l’année suivante, il allait accompagner Bougainville, en qualité d’aumônier, dans son voyage aux Iles Malouines, avant de devenir bibliothécaire de Frédéric II puis abbé en Westphalie. Il avait embrassé la profession religieuse dans l’ordre de Saint-Benoît, le 29 juin 1732, à l’abbaye de Saint-Allire de Clermont, dont les supérieurs l’envoyèrent ensuite à Saint-Germain-des-Prés à Paris, où il écrivit ses ouvrages (9).

*

C’est en attaquant l’authenticité du Livre des Figures Hieroglyphiques que l’argumentation de l’abbé Villain, contre la personnalité philosophique de Nicolas Flamel, semble plus sérieuse et mieux fondée, au moins à première vue. Il ne faut pas oublier, en effet, que le peu qu’on sait de l’activité de l’alchimiste dans la Science, nous est fourni par le texte traduit et édité, vraisemblablement pour la première fois, par P. Arnauld, sieur de la Chevallerie Poitevin (10).

Celui-ci, tout d’abord, selon l’érudit prêtre, aura été « quelqu’alchimiste, qui, pour faire valoir un ouvrage hermétique de sa façon, aura profité de la réputation que les richesses prétendues immenses de Flamel lui avoient acquises » (11).

Un fait indéniable ruine, totalement et sans conteste, cette assertion, dont on verra, d’autre part, qu’elle ne reposait déjà que sur de bien faibles arguments :

Trois alchimistes normands, Grosparmy, Valois et Vicot, qui labouraient ensemble à Flers, à la fin du XIVe siècle et dans la première moitié du suivant, possédaient et tenaient en grande estime Le Livre des Figures Hieroglyphiques de Nicolas Flamel.

Dans leurs Œuvres restées manuscrites, ils invoquent fréquemment l’autorité de leur confrère parisien en le présentant sous ce dernier vocable :

« Par ainsi calcine ton corps en trois jours : ce que le juif par la denotation du parisien figuroit par son livre contenant trois fois sept feuillets… (12) »

Il s’agit d’autant plus sûrement de Flamel, que ces auteurs contemporains rappellent, dans le même tome, l’épouse modèle échue par grâce à l’alchimiste de la paroisse Saint-Jacques-la-Boucherie, et cela à l’occasion de conseils détaillés pour une installation commode :

« Aiez aussi un compagnon fidelle, et en meurs vous ressemblant, si mieux n’aviez une seconde Perrenelle, mais ce sexe est hasardeux et à craindre (13). »

Le Grand Olimpe, traduit et commenté, « achevé d’escrire ce 26 mars l’an 1430 », désigne, clairement, l’alchimiste de Paris, par son patronyme :

« Et ses ames qui dedans leurs corps sont remises, voy Flamel en son arche (14) »

C’est Nicolas Valois qui parvint au but le premier, à un âge relativement jeune, si nous ne le prenons pas à la manière philosophique, c’est-à-dire compté depuis le jour où l’artiste se mit à expérimenter au fourneau :

« Or, j’avais bien 45 ans quand cela arriva en l’an 1420. Et au bout de 20 mois, nous vismes ce grand Roy assis en son trosne royal… »

*

Reconnaissons avec Sauval (15) que la version latine de Flamel, translatée par Arnauld de la Chevallerie, semble n’avoir jamais été trouvée manuscrite ou imprimée, et soulignons nous-même que le gentil-homme poitevin ne tint pas sa promesse de nous donner aussi les Figures Hieroglyphiques « en Latin avec L’Histoire du Iardin des Hesperides, composée par Lorthulain tres-grave et tres-docte Autheur » (16). Qu’il ne l’ait pas placé tout de suite en regard du français, comme pour le premier traité de son recueil - celui du tres-ancien Philosophe Arthephius, nous permettant, au reste, d’apprécier son excellent savoir de latiniste -, voilà qui ne laisse pas de surprendre, lors même qu’il en fournisse l’explication :

« Car il eust esté grossier de mettre les figures en tous les deux textes Latins et François, ou de n’en mettre qu’en un. Et n’en mettant qu’en un, les figures occupans l’espace, eussent empesché que le Latin et François ne se feussent pas bien rencontrez aux fueillets, i’ay donc esté contraint de te les bailler en ceste-cy seulement (17). »

Sur la simple constatation qu’il ne demeure aucun exemplaire, ni aucune trace de ce latin original, serait-il prudent de vouloir qu’il n’eût jamais existé ? Nous ne le pensons pas, devant cet article du Catalogue de Pierre Borel, docteur médecin, né à Castres, mentionnant un manuscrit qu’il eut sans doute dans les mains et qui rappelle un précédent travail de même genre :

« Nicolai Flamelli quædam Hieroglyphica, et Carmina quæ in variis Lutetiæ lapidibus olim visebantur vel quæ adhuc super sunt, alia ab iis quæ in Lucem prodierunt, MS ut et ejus processionnes (18) ».

Ne pourrait-il s’agir de la pièce primitive sur laquelle se bâtit la réputation philosophique de Nicolas Flamel et de laquelle il faut espérer que, tôt ou tard, elle resurgisse par l’heureuse occurrence de quelque chercheur prédestiné ? Quoi qu’il en soit jamais, voici la traduction du latin précité :

« Certains Hiéroglyphes et certaines Inscriptions de Nicolas Flamel, qu’on voyait autrefois sur diverses pierres de Paris ou qui sont encore dessus, autres que ceux qui ont été mis en lumière, et, par exemple, ses processions. »

Flamel, dans ses Figures, explique ce qu’il entend par procession, et, répétant un distique qui accompagnait l’image peinte au charnier des Innocents, sur l’une des arches de la galerie voûtée, nous indique implicitement qu’il les rédigea en latin :

« … par dedans le Cymetiere, où i’ay aussi mis contre la muraille d’un et d’autre costé, une procession en laquelle sont représentées par ordre toutes les couleurs de la pierre, ainsi qu’elles viennent et finissent, avec ceste escripture françoise :

Moult plaist a Dieu procession
S’elle est faicte en devotion (19)

*

Les lignes que nous écrivons contribueront-elles à l’événement que constituerait, pour nombre de lecteurs, le double démenti qu’eût été fictif ou que fût perdu le texte en langue latine du Livre des Figures hieroglyphiques ? D’ores et déjà, une seconde traduction, différente de celle d’Arnauld de la Chevallerie, confirme nettement que le latin original existe. En effet, les renseignements bibliographiques produits à son sujet, par deux auteurs de parfaite honnêteté, s’offrent trop précis pour que le moindre doute puisse venir à l’esprit le plus exigeant.

Robert Buchère, quelques mois avant que se déchaînât, en 1914, l’effroyable tourmente qui devait aussitôt l’engloutir avec presque toute l’infortunée jeunesse en pantalons rouges, découvrit, chez le docteur 0, à Toulon, cette translation, imprimée dont il prit la copie et dont voici la référence :

« Le Livre des Figures Hieroglyphiques de Nicolas Flamel, écrivain. Traduit du latin en français par N. Perrot, sieur d’Ablancourt. A Paris, chez Augustin Courbe, en la galerie des merciers, à la Palme, 1660. »

Combien il aurait été préférable, vu sa réputation et ses mérites, que c’eût été Robert Buchère lui-même qui eût exposé sa sensationnelle découverte, plutôt que Fidel Amy-Sage parlant d’après son ami défunt, tout à fait incidemment, dans une explication préliminaire. Celle-ci précède la traduction, par Buchère, de Purissima Revelatio, dans l’un de ces numéros si intéressants de l’ancien Voile d’Isis (20).

Nous ne savons qui était ce « bon Dr O », de la sorte discrètement désigné par Buchère et que Fidel Amy-Sage, de son côté, présente comme « un adepte de la Rosée croissante », pourvu d’une « riche bibliothèque ». En tout cas, du rarissime exemplaire pris par Buchère sur l’un des abondants rayons, s’échappa une fiche « de la main même du Dr O », tout de suite ramassée, copiée et transmise à son frère en Hermès, collaborateur du Voile d’Isis de la bonne époque :

« … Un sieur Arnauld de la Chevallerie, gentil homme poitevin… pour se procurer de l’argent et de la réputation… et pour quelques mystérieuses raisons qui nous échappent… se gardant bien, et pour cause, de reproduire le texte latin de Nicolas Flamel, a supprimé des passages entiers et, à mon avis, capitaux… pour en ajouter d’autres assez nombreux, de son cru spagyrique. Ceux-ci n’ont servi qu’à embrouiller et à tromper les chercheurs de bonne foi. »

Le jugement nous apparaît sévère, qu’il ne serait possible d’apprécier que par la confrontation du texte d’Arnauld avec celui du sieur d’Ablancourt. Quand Fidel Amy-Sage range, sur le mode péjoratif, Eyrenée Philalèthe parmi les spagyristes, nous aimerions connaître le sens exact que donnait le docteur O à l’adjectif spagyrique, précisant la nature des passages, assez nombreux, ajoutés par le premier traducteur. Celui-ci, on l’a vu, translata de façon irréprochable le traité latin d’Artephius. Pourquoi aurait-il aussi profondément transformé celui de Nicolas Flamel ? Quoi qu’il en soit, les deux versions de la fin du chapitre III, présentées juxtaposées en manière de spécimens, par Fidel Amy-Sage, diffèrent notablement, et la trouvaille de Robert Buchère infirme déjà le raisonnement de l’abbé Villain, concluant à un pastiche du sieur "de la Chevallerie Poitevin" (21).

*

Peut-on déduire encore que Le Livre des Figures Hieroglyphiques soit apocryphe, de ce que son auteur suspecté n’y porta pas correctement une date ? L’abbé Villain opine pour l’affirmative, qui, justement d’ailleurs, fait observer que, jusqu’au milieu du XVIe siècle, l’année commençait avec le jour de Pâques. Par suite, il n’admet point que Nicolas Flamel, « écrivain accoutumé à copier des pièces, et peut-être à en composer », ait écrit « le vingt-cinquiesme iour d’Avril suivant de la mesme année (1382) » au lieu de vingt-cinquième jour d’avril après Pâques fleuries 1383. La fête de la Résurrection tombant, pour la première, le 6 avril, pour la seconde, le 22 mars (22).

Ce n’est pas là, vraiment, un argument décisif, comme le veut l’abbé Villain, car il n’est pas impossible qu’Arnauld ait rétabli le millésime, dans son français, selon que l’imposait, depuis quelque cinquante années, la loi de son temps. D’autre part, Nicolas Flamel lui-même n’aurait-il pas imaginé une première transmutation non moins fictive que sa date ? Nous sommes, quoique modestement, assez au fait de l’élaboration philosophique, disons même - afin de nous mieux faire comprendre par certains - de la synthèse physique, pour ne pas accepter facilement que le pieux philosophe de l’ancienne rue Marivaux l’ait non seulement pratiquée en hiver, mais encore l’ait suspendue, non sans grave préjudice, dans le but d’effectuer une transmutation du mercure ordinaire en argent, fût-il le plus fin :

« Ce fust le 17 de Ianvier ; un lundy environ midy, en ma maison, presente Perrenelle seule, l’an de la restitution de l’humain lignage mil trois cens quatre vingts deux (23). »

Très vraisemblablement, afin d’instruire, avec sagesse, son lecteur, fils de science, soucieux du travail au fourneau, Nicolas Flamel rapprocha, cabalistiquement, les deux planètes Lune et Vénus, en intervertissant à dessein les deux jours de la semaine, qui leur sont impartis. L’abbé Villain, fort éloigné des méthodes didactiques familières aux alchimistes, triomphe alors et souligne l’erreur qu’il condamne sans réserve :

« En 1382, le 17 de Janvier étoit un vendredi, et non un lundi ; et ce ne peut être une faute de copiste : car y a-t-il quelque ressemblance entre ces deux noms vendredi et lundi ? De plus, le sieur de la Chevallerie a présenté la piece comme une traduction. Le copiste auroit donc lu die lunæ pour die veneris : la différence est encore plus énorme, et ne peut s’admettre (24). »

(Note de L.A.T. :  Le 17 janvier 1382, en mode julien donc, est bien un vendredi comme l’affirme l’abbé Villain. Selon les "Ephémérides Suisses" établies pour le mois de janvier 1382, une conjonction astronomique précise de la Lune et de Vénus a lieu dans la soirée du 17, au 5ème degré du signe des Poissons…Le « rapprochement » entre ces deux planètes, qu’évoque Canseliet, n’est donc peut-être pas uniquement « cabalistique »).

*

Certes, le pointilleux abbé n’aurait pas aussi aisément trouvé la faute, délibérée ou involontaire, s’il n’avait eu à sa disposition, dans l’édition princeps de 1750, L’Art de vérifier les dates ; ce monument d’érudition dû à l’opiniâtreté laborieuse des bénédictins de Saint-Maur, duquel l’imagination a peine à concevoir la colossale édification, dans l’idée vertigineuse du temps et des efforts nécessaires, impossibles à un seul homme. A l’égard de cette erreur chronologique, par lui dénoncée capitale, l’abbé Villain en appelle finalement à l’autorité des mêmes RR. PP. pour la circonstance Dom Tassin et Dom Toustain, de qui venaient de paraître les premiers volumes de leur Nouveaux traité de Diplomatique. Il y relève, au second tome, page 442, cet argument inductif, qu’une foule de caracteres favorables ne résisteroit pas à un désavantageux, s’il étoit de nature a ne pouvoir compatir avec une piece vraie, et il en tire discrètement, en note, la conclusion décisive, chère à son opinion préconçue :

« Quelque naïveté qu’il paroisse dans le récit que l’on fait faire à Flamel, des dates si visiblement fausses, sur tout la dernière, doivent décider de toute l’histoire, et la faire regarder comme inventée a plaisir (25). »

Il nous serait loisible d’appliquer à l’érudit ecclésiastique le raisonnement qu’il utilisa avec tant de rigueur, quand nous voyons que se transforma, sous sa plume, la fin de la longue inscription de la maison célèbre, sise 51 rue de Montmorency, dans le troisième arrondissement. Nous reparlerons de cette demeure édifiée par Nicolas Flamel, sur laquelle chacun peut lire, comme nous l’avons nous-même très bien lue tout récemment encore, au-dessus des ouvertures inférieures, en caractères gothiques, la curieuse profession de foi, édifiante et collective. Nous en respectons d’abord l’orthographe et les abréviations et la faisons suivre de sa leçon moderne :

« NOUS HOMES ET FEMES LABOUREURS DEMOURANS OU PORCHE DE CETTE MAISON QUI FU FCE EN LAN DE GRACE MIL QUATRE CENS ET SEPT. SOMES TENUS CHASCU EN DROIT SOY DIRE TOUS LES IOURS UNE PATENOSTRE ET I AVE MARIA EN PRIANT DIEU Q DE SA GRACE FACE PARDO AUS POVRES PECHEURS TRESPASSEZ. AMEN. »

« Nous hommes et femmes laboureurs habitant le porche (26) de cette maison qui fut faite en l’an de grâce mil quatre cent sept, sommes tenus chacun en droit soi dire tous les jours une patenôtre et un Ave Maria, en priant Dieu que de sa grâce fasse pardon aux pauvres pécheurs trépassés. Amen. »

Au demeurant, ce que nous allons relever semblera peu de chose ; toutefois nous n’acceptons pas qu’un investigateur aussi vétilleux ait pu voir, comme suit, la partie que nous soulignons maintenant, dans cette épigraphe s’étirant sur une seule ligne et dont il prend soin de nous dire, pour affirmer l’exactitude de son examen, qu’« elle a été nettoyée depuis peu » :

« … en priant Dieu Fils et sa Mère faire pardon aux pauvres pécheurs trespassés. Amen (27). »

Quelques lettres étaient frustes, vers le milieu du siècle dernier, mais seulement dans le mot demourans et les quatre qui suivent. Sur la façade, non moins transformée que la destination première de cette construction, telle quelle restée de grand intérêt, une plaque commémorative nous apprend :

« MAISON DE NICOLAS FLAMEL ET DE PERNELLE SA FEMME. POUR CONSERVER LE SOUVENIR DE LEUR FONDATION CHARITABLE LA VILLE DE PARIS A RESTAURÉ EN 1900 L’INSCRIPTION PRIMITIVE DATÉE DE 1407. »

*

Dans les premières années du XVe siècle, la rue de Montmorency se trouvait, à environ cinquante mètres, passé la vieille porte de Philippe-Auguste encore debout parallèlement à la rue aux Oües (maintenant aux Ours), dans ce quartier, ou plutôt dans ce faubourg de la capitale, qui relevait du prieuré de Saint-Martin-des-Champs.

Que les moines, tant jaloux de leurs privilèges, aient traité aussi facilement avec Flamel et qu’ils l’aient autorisé à construire une maison importante, d’usage hospitalier, laquelle devait s’appeler le Grand Pignon, nous n’en sommes point surpris, puisque nous avons tout lieu de croire que l’alchimie était pratiquée en quelque officine secrète du cloître.

Pierre de Montereau, constructeur de leur réfectoire (28), au début du XIIIe siècle, ne devait-il pas bientôt édifier la Sainte-Chapelle et l’enrichir d’allégories alchimiques, disparues quant aux sculptures, mais dont la meilleure partie sans doute subsiste dans les merveilleux vitraux s’illuminant au sud. Notre maître Fulcanelli a parlé de ce trésor d’ésotérisme, dont il a même fourni, en spécimen, un fragment, dessiné et peint par Julien Champagne, figurant le massacre des Innocents (29).

Ajoutons, maintenant, ce que Flamel et notre maître n’ont pas dit et qui découle des opérations par voie sèche au laboratoire. C’est au cours de la partie médiane de l’élaboration philosophale, c’est-à-dire du second oeuvre, que l’universelle immolation se produit. Les Innocents sont saisis, un à un, en surface, à la manière du pêcheur ferrant les poissons à la ligne.

C’est ici le lieu qu’on se penche sur l’image du poêle alchimique de Winterthur, puis, en particulier, sur celle du Mutus Liber, où le couple parfait, renouvelé de Nicolas et de Pérennelle, pêche, à la ligne, le royal Dauphin (30).

L’holocauste rapporté par saint Matthieu, au verset 16 du chapitre II de son Evangile, s’offre en allégorie de la phase importante du Grand Œuvre, qui est celle des aigles ou sublimations :

« Alors Hérode, voyant qu’il avait été joué par les mages, entra dans une grande colère ; et il envoya tuer tous les enfants qui étaient à Bethléem et dans tous les environs, depuis l’âge de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s’était enquis auprès des mages. »

C’est Nicolas Flamel, lui-même, qui établit le rapport, en ses Figures Hieroglyphiques, à propos du livre singulier qui lui « tomba entre les mains », duquel il dit encore, qu’il se montrait « doré, fort vieux, & beaucoup large », et que ses pages étaient « escriptes avec une poincte de fer, en belles & tres nettes lettres latines colorées » :

« Au dernier revers du cinquiesme fueillet, il y avait un Roy avec un grand coutelas, qui faisoit tuer en sa présence par des soldats, grande multitude de petits enfans, les meres desquels pleuroient aux pieds des impitoyables gendarmes, le sang desquels petits enfans, estoit puis apres recueilly par d’autres soldats, & mis dans un grand vaisseau, dans lequel le Soleil & la Lune du Ciel se venoient baigner. »

Notre savant alchimiste, selon son habitude, ne laissa pas de confier à l’iconographie cette phase importante de l’alchimie opérative dont il était fervent disciple. C’est ainsi qu’au cimetière des Innocents, nous l’avons dit précédemment, sur la quatrième arche, en entrant par la grande porte de la rue Saint-Denis et tout de suite à main droite, Nicolas Flamel fit sculpter et peindre trois petits cartouches qui figuraient, fort abrégé, le grand massacre de Judée.

On pourra compléter encore notre contribution à la mise en pratique de l’allégorie des saints Innocents égorgés, par le passage que nous empruntons à notre volume Alchimie et qui vient en similitude avec l’une des circonstances dramatiques de la conquête de la Toison d’Or :

« De même voit-on, au cours du travail alchimique, la partie pure du composé se séparer de la masse putréfiée, s’éloigner de tout danger et s’élever à la surface, véhiculée par un corps nouveau, de complexion subtile et semblable à elle sous le rapport de la perfection. C’est ainsi qu’Hermès, dans sa Table d’Emeraude, s’adresse au fils de la doctrine et lui conseille d’opérer :

« Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais, doucement, avec grande industrie (31). »

*

Mais revenons à l’angle des rues Saint-Martin et du Verbois, puis là, devant la tour à créneaux (32) de l’enceinte médiévale du couvent, examinons la fontaine du Vertbois, dont le bas-relief original de 1633, dû aux religieux, remplacé en 1832, fut installé, à gauche en entrant, dans la cour du Conservatoire des Arts et Métiers, où les intempéries achevèrent de le ruiner suffisamment, pour qu’il fallut l’enlever vers la fin de l’occupation allemande.

Il n’est pas inopportun de signaler en ce lieu que l’hermétisme de cette sculpture, également dévoilé par Fulcanelli (33) , fut très fidèlement utilisé pour l’inauguration de grands magasins à Rouen, avec l’édition d’une médaille qui est l’œuvre du maître céramiste Pierre Oliver (34) … Sur cette faïence, d’un art parfait, la nef du Grand Œuvre, entourée des lacs d’amour, porte, de surcroît, en poupe, la coquille des pèlerins de Saint-Jacques et le vocable CORÉ qui signifie en grec ancien : jeune fille, vierge.

Ainsi s’affirme, dans la pensée antique qui survit et se propage, la nécessité d’une philosophie scientifique, seule capable de conjurer les maléfices, mortels pour l’humanité, de la physique et de la chimie imprudemment étendues à ce que les anciens dénommaient l’œuvre selon le diable, en opposition à celui qu’ils pratiquaient selon Dieu.

Du grand poème de Guillaume de Lorris et Jehan Clopinel, dit de Meung, pour lors, nous viennent en mémoire les deux derniers vers qui soulignent la vérité entière et primordiale :

Explicit le Romanz de la Rose
0u toute l’art d’amor est enclose.

Un extrait du Roman de la Rose se trouve entre les Remonstrances de Nature à l’Alchymiste errant du même auteur, Jehan de Meung, et le Sommaire philosophique de Nicolas Flamel, dans le petit livre (35) contenant encore La Fontaine des Amoureux de Science de Jehan de La Fontaine, de Valenciennes, en la Comté de Henault, qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme champenois, plus jeune de deux bons siècles, c’est-à-dire avec le bonhomme de génie, le fabuliste exquis au franc parler :

I’avoye grand soif et grand faim,
Mais parfois avecq moy du pain
Qu’avois gardé une sepmaine
Lors apperceu une fontaine,
D’eaue tres clere, pure et fine,
Qui estoit soubs une aubespine.
loyeusement empres m’assis.
Et de mon pain soupes y fis (36)

On voit bouillonner cette fontaine sur la troisième figure d’Abraham le Juif, au pied du vieux chesne creux que, laconiquement, Flamel recommande à son lecteur de noter, en terminant le chapitre III du Livre des Figures Hieroglyphiques (37), Précisément, il y expose tout au long la portée expérimentale du symbolisme des deux dragons qu’il fit peindre « en la quatriesme arche du cymetiere des Innocens entrant par la grande porte de 1a ruë S. Denys, et prenant la main droicte (38) ». Il n’est pas sans conséquence de remarquer que l’alchimiste parisien y rappelle son traité versifié, à propos des deux principes mâle et femelle de la Philosophie, « ces deux spermes masculine et fœminine descriptes au commencement de mon Sommaire Philosophique », le poème que nous venons nous-même de signaler ci-dessus et dans lequel on retrouve, allégoriquement monstrueux, les deux acteurs protagonistes de l’Œuvre minéral (39).

*

Jamais l’exactitude de la reproduction des Figures, dans l’édition du sieur Arnauld de la Chevallerie, en 1612, depuis cette date, n’a été contestée par qui que ce fût qui eut comparé ces gravures sur bois avec d’autres dessins, ou, mieux, avec l’œuvre originale. Celle-ci subsista jusqu’à la disparition du charnier, en si bon état de conservation, que l’abbé Villain, l’an 1760, put l’examiner facilement et à loisir. Par la même occasion, il vit aussi la sépulture de Perennelle (40), toujours dressée dans le cimetière, vis-à-vis de l’arcade historiée devenue l’objet principal d’une controverse assez chaude et non exempte de passion.

Venu là en inquisiteur avide de vérité et rempli d’ardeur à confondre le mensonge et l’imposture, comment l’érudit, tant soucieux de documents, de pièces, d’originaux officiels et incontestables, qui sut exploiter, nous l’avons vu, non sans adresse, la décision, au reste d’irréfragable logique, de deux illustres bénédictins, comment l’abbé Villain, sur les notes prises attentivement devant le message iconographique de Flamel, a-t-il pu ensuite rédiger les lignes que voici :

« Les deux autres tableaux qui sont les deux extrémités, sont très mystérieux aux yeux des Alchymistes, et sans mystere à quiconque n’y en cherche point. Ce sont les symboles des quatre Evangelistes. L’Homme symbole de l’Evangeliste St Matthieu, soutenant le Lion ailé de St Marc, c’est le tableau du côté droit ; dans l’autre à gauche le Bœuf de St Luc et l’Aigle de St Jean, c’est tout ce qu’on doit y voir (41). »

Au Livre des Figures Hieroglyphiques, sur la planche qui se déplie et qui montre, joliment dessiné, le tympan de l’arche, on voit, en effet, cinq compartiments, illustrés et distincts, soutenant la scène à grands personnages, développée dans le reste de l’ogive. Si l’on y reconnaît, aux extrémités, les deux compositions discutées par le savant ecclésiastique, on serait bien en peine d’y retrouver, avec lui, réunis en deux couples, les attributs animaux des quatre évangélistes.

A droite, le clerc vêtu d’une longue robe pourpre, retenant par les pattes un lion pourvu d’ailes, ne ressemble décidément pas à l’ange par qui le peintre eût symbolisé saint Matthieu, en ce début du XVe siècle, avec les mêmes ailes et la même tunique blanche que les célestes messagers, par lui, figurés au-dessus.

A gauche, les deux dragons mythiques qui s’affrontent et dont l’un est aptère, ne sauraient, moins encore, offrir une quelconque ressemblance avec le bœuf de Saint Luc et l’aigle de Saint Jean.

Avant nous, Albert Poisson avait déjà constaté l’erreur, sans doute involontaire, du critique aveuglé dans son parti pris, à l’endroit de la description de ces deux petits tableaux (42).

*

A cette différence près que l’un est en prose et l’autre en vers, les deux traités de Nicolas Flamel, à savoir :  Le Livre des Figures Hieroglyphiques et Le Sommaire philosophique, révèlent une évidente parenté de science et d’expression. La doctrine alchimique y resplendit dans toute sa pureté traditionnelle, tant à l’égard de la discipline philosophique que pour le symbolisme et la pratique physique à laquelle il se rapporte.

Voilà pourquoi nous sommes encore très près du sentiment d’Albert Poisson, quand il décide que les deux autres petits ouvrages imprimés, qu’on attribue communément à Flamel, ne furent pas composés par lui. Il s’agit du Grand Esclairsissement de la Pierre Philosophale, à Paris, chez Louys Vendosmes, Marchand-Libraire, ruë de la Harpe, à la Roze rouge, 1628, puis du Thresor de Philosophie, ou Original du Desir Desiré (43) à Paris, chez Pierre Billaine, ruë S. Iacques, à la Bonne Foy, devant S. Yves, 1629.

Pour le premier, d’ailleurs daté de Paris, le 7 juillet 1466, alors que Nicolas Flamel était officiellement mort depuis 48 ans, la note de Pierre Borel ne nous étonnera pas et renforcera, tout au contraire, notre impression de lecture :

« Il n’est pas vrai que ce livre soit de Flamel, mais simplement une partie du livre de Christophe de Paris (44) publiée sous ce titre ; librum istrum, non Flamelli, genuinum esse, sed esse tantum portionem libri Christophori Parisiensis, sub hoc titulo editam (45). »

Quant au deuxième, « Livre tres-excellent contenant l’ordre et la voye qu’a observé le dit Flamel en la composition de l’Œuvre Physique, comprise sous ses figures hierogliphiques, extraict d’un ancien Manuscrit », nous ne saurions fermement décider, comme le fit Albert Poisson, qu’il fût apocryphe, lors même que nous soyons d’accord avec lui, afin de bien mettre en garde qu’on ne le confonde pas, selon qu’il est fréquent, avec Le Livre des Laveures, parce que celui-ci répète le titre de celui-là, dans son incipit curieusement allitéré :

« Le Desir Desiré et le prix que nul ne peut priser, de tous les philosophes composé et des livres des anciens prins et tiré (46). »

Le Livre des Laveures offre ceci de particulièrement important qu’il est du XVe siècle, calligraphié sur vélin avec, immédiatement après l’explicit, les lignes suivantes :

« Ce present livre est et appartient à Nicolas Flamel, de la parroisse Saint Jacques de la Boucherie, lequel il l’a escript et relié de sa propre main. »

Si le remplacement de la reliure originale - vraisemblablement au début du XVIIe siècle - a entraîné le rognage fâcheux des feuillets, il est toujours possible de lire l’indication finale, dans laquelle il est plus malaisé de concevoir pour quelle raison furent jadis grattés et surchargés, les nom et prénom de l’alchimiste, distingués, néanmoins, par l’œil exercé, grâce à la pénétration profonde de la graphie première. Ce qui est certain c’est que, lorsque Borel dressa son Catalogue, le grattage n’existait pas, qu’il n’eut pas manqué de signaler, à la suite de sa brève mention des Laveures :

« Ancien manuscrit, exécuté (comme on le pense) de la propre main de Flamel ; MS. antiquum, propria Flamelli manu (ut existimatur) exaratum (47). »

Le livre est élégamment écrit en lettres de forme et proclame l’habileté de l’écrivain, dont on sait que Nicolas Flamel s’appliqua tant à répandre qu’il faisait profession. Certes, en dehors de ce petit manuscrit, on ne connaît pas d’autre ouvrage qui ait été le fruit de son exercice de copiste absorbant, au Moyen Age, presque toute l’activité de l’écrivain-juré. Ce dernier joignait parfois à son talent de calligraphe celui d’enlumineur, qui consistait à enrichir de lettrines et de miniatures peintes, les textes, par lui magistralement reproduits sur le papier ou sur le vélin.

C’était là, plus sûrement, le métier de Jehan Flamel qui fut le frère cadet de notre prudent philosophe et qui, en revanche, laissa plusieurs chefs-d’œuvre enluminés (48). Il travailla à la somptueuse librairie du duc de Berry et pour le compte de Louis, duc d’Orléans, premier du nom, selon que le révèle, tout spécialement pour ce prince, une quittance autographe également conservée rue de Richelieu (49).

*

Nicolas Flamel n’aurait donc que très peu copié lui-même, sans doute trop absorbé par ses travaux chimiques, et par l’emploi du numéraire qu’il en retirait, suivant la sage mesure d’une production limitée à la seule fortune bourgeoisement possible et en rapport, non moins obligé, avec la discipline traditionnelle des frères en Hermès. A cette époque, de même qu’à la nôtre, il n’était pas bon de paraître trop fortuné, comme on en jugera par ce qu’il advint au charitable écrivain, quand la caisse royale se trouva en pressant besoin d’argent :

« Aussi vint-elle (sa richesse) aux oreilles du Roy, qui envoya chez luy Monsieur de Cramoisy, Maistre des Requestes, pour sçavoir si ce qu’on luy en avoit raconté estoit veritable ; mais il le trouva dans l’humilité, se servant mesme de vaisselle de terre. Mais pourtant on sçait par tradition, que Flamel se declara a luy, l’ayant trouvé honneste homme, & luy donna un matras plein de sa poudre, qu’on dit avoir esté conservé long-temps dans cette famille, qui l’obligea a garantir Flamel des recherches du Roy » (50).

Il nous est arrivé de nous appliquer, autant par nécessité que, nous l’avouons volontiers, par amour, à l’art des écrivains du Moyen Age, à nous plier à leurs règles, à rechercher leurs procédés et à percer leurs secrets, dans le but de nous approcher le plus possible de la perfection à laquelle ils élevèrent leur noble métier. A qui voudrait goûter les intimes délices de l’exercice du copiste, si naïvement senties par Jean-Jacques Rousseau, nous recommandons ici l’inappréciable compilation de Jean Le Bègue, laquelle fut le fruit, vers 1410, de ses enquêtes et de ses investigations jusqu’en Italie (51). Voilà pourquoi, en tout cas, nous sommes à portée de supputer assez justement le temps que pouvait réclamer l’exécution d’un manuscrit enluminé, du vivant de Flamel, quand la calligraphie et l’ornementation des livres étaient poussées à un degré d’excellence et de luxe inouï. Du Cange ne rapporte-t-il pas (vide ejus Glossarium in voce illminatio) que, trois siècles plus tôt, l’année de l’Incarnation du Seigneur 1097,- annus ab Incarn. Domini MXCVII - deux volumes furent terminés, pour lesquels il avait fallu quatre ans de travail sans discontinuité et pourtant avec minutie -continuatim et tamen morosius.

Les deux petites échoppes que possédaient Nicolas Flamel et Pérennelle, « de leur acquisition et propre conquest » sur le côté nord de l’église Saint-Jacques-de-la-Boucherie, tout près du petit portail bâti et décoré par eux, n’avaient ensemble, d’après Sauval, que « cinq pieds de long et deux de lez » (52). Il est difficile de concevoir que, dans un espace aussi exigu, générateur d’extrême incommodité, un écrivain, si habile et si peu exigeant qu’il se soit montré, ait pu exercer son art d’une manière à la fois abondante et lucrative. Ces réduits pouvaient-ils mieux abriter l’activité de Nicolas Flamel, même ramenée à l’office banal du comptable, lorsqu’il nous confie avec une ostentation aussi évidente que voulue :

« Je gaignois ma vie en nostre Art d’Escriture, faisant des Inventaires, dressant des comptes & arrestant les despenses des tuteurs et mineurs (53) »

Tout cela répond fort mal aux moyens financiers considérables de l’alchimiste qui, dans le « Ms de chimie d’Almazatus au Roy de Carmassant », cité par Borellus (54) , fait une déclaration les dévoilant sans retour.

Nous avons retrouvé cette copie certainement unique, que ni l’abbé Villain, ni l’infortuné Albert Poisson ne remarquèrent, de laquelle on doutait même qu’elle existât et qui, commençant au recto du folio 40, sous le titre : Via Flamelli sive Almasati - La Voie de Flamel ou d’Almasatus, termine le recueil au folio 56.

Le volume, qui est relié en demi-parchemin, fut transcrit, au XVIe siècle, par plusieurs mains françaises, et, en 1598, il était la propriété de d’Hardencourt.

Donc, au recto de la page 43 et en français dans le texte latin, l’artiste de la rue des Marivaux parle du livre invraisemblable qui « n’estoit point en papier ou parchemin, comme sont les autres (55) ». et qu’il importe beaucoup de bien considérer, parce qu’il fut, évidemment, l’inépuisable source de richesses abondantes :

« Lequel livret, par la grande grâce de Dieu, m’a donné tant de biens, que j’ay acquis la Seigneurye de six parroisses autour Paris, sans reproche a Dieu. Car en luy est la louange, non pas a moy. Et tant en ay fait qu’en mon testament j’ay laissé en piteuses aulmosnes plus de quatre mil escus d’or. » (Bibl. Nat., fonds latin, n° 14 013).

Envisageant ce livre fermé comme le symbole de la première matière « dont se servent les alchimistes et qu’ils emportent au départ », l’auteur des Demeures Philosophales n’hésite pas à identifier, avec le sujet des sages, le livre enluminé que Nicolas Flamel acquit « pour la somme de deux florins (56) ».

Certes, le prix était modeste, lors même que le florin d’or, des règnes de Charles V et de Charles VI, se montrait de fort bon aloi et correspondait, au moins, à la valeur marchande de 300 nouveaux francs actuels. En numismatique, le cours de cette pièce de monnaie est devenu, sous notre République, parfaitement inestimable.

Au demeurant, voici ce que Fulcanelli observe, au lumineux chapitre de L’Homme des Bois :

« Le fameux manuscrit d’Abraham le Juif, dont Flamel prend avec lui une copie des images, est un ouvrage de même ordre et de semblable qualité. » (Dem. Phil., tome I, p. 316).

*

Quoique Flamel, en excessive humilité, nous dise n’avoir « appris qu’un peu de latin, pour le peu de moyens, précise-t-il, de mes parens », il composa, dans la langue savante, la prière que tout fils de science aura grand avantage à méditer, sinon à prononcer, et que nous avons traduite à l’intention de tous :

Omnipotens, æterne Deus Pater cælestis luminis, a quo etiam omnia bona et perfecta dono proveniunt.

Tout-Puissant, éternellement Dieu, Père de la céleste lumière, de qui viennent aussi tous les biens et tous les bons parfaits.

Rogamus infinitam tuam misericordiam, ut nos æternam tuam sapientiam quæ continuo circa tuum chronum est, et per quam omnia creata factaque, sunt atque etiamnum regentur et conservantur, recte agnoscere patiaris.

Nous implorons ton infinie miséricorde, afin que tu nous permettes de connaître parfaitement ton éternelle sagesse qui environne ton trône et par laquelle toutes les choses ont été créées et faites, et sont, à présent encore, conduites et conservées.

Mitte illam nobis de sancto tuo cælo, et ex throno tuæ gloriæ, ut una nobiscom sit, et simul laboret, quoniam magistra est omnium cælestium occultarumque artium, etiam omnia scit et intelligit.

Envoie-nous la de ton ciel saint et du trône de ta gloire, afin qu’elle soit et travaille avec nous, puisqu’elle est la maîtresse de tous les arts célestes et occultes, et qu’elle sait et comprend toutes les choses.

Fac moderate nos comitetur in omnibus nostris operibus, ut per illius spiritum verum intellectum, infallibilemque processum nobilisimæ hujus Artis, hoc est, sapientum miraculosum lapidem, quem mundo occultasti, et saltim electis tuis revelare soles.

Fais lentement qu’elle nous accompagne dans toutes nos œuvres, afin que, par son esprit, nous obtenions la véritable intelligence, et la pratique infaillible de cet Art très noble, c’est-à-dire, la pierre miraculeuse des sages, que tu as cachée au monde et, du moins, que tu as coutume de révéler à tes élus.

Certo, et sine ullo errore discamus, et ita summum opus, quod heic nobis peragendum est.

Que certainement et sans aucune erreur, nous apprenions l’Œuvre suprême qui, par nous, doit être ici, poursuivi sans relâche.

Primum recte et bene inchœmus, in eo, ejusdemque labore constanter progrediamur, et tandem etiam beate absolvamus, illoque æternum cum gaudio fruamur, per cælestem illum et ab æterno fundatum angularem miraculosumque lapidem.

Tout d’abord, que nous l’entreprenions convenablement et bien ; que nous progressions constamment dans ce travail : enfin que nous le terminions bienheureusement et en jouissions avec joie pour toujours, par cette pierre céleste et fondée de toute éternité, angulaire et miraculeuse.

Jesum Christum qui tecum, ô Deus pater, unacum spiritu sancto, verus Deus, in una indissolubili divina essentia, imperat et regnat.

Jésus-Christ qui, avec toi, ô Dieu le Père, ensemble avec l’Esprit-Saint, véritable Dieu, dans une indissoluble et divine essence, commande et règne.

Triunicus Deus, summe laudatus in sempiterna secula. Amen.

Dieu triple en un, extrêmement loué dans les siècles sempiternels. Ainsi soit-il (57).

Avec quelle ferveur, certainement, Nicolas Flamel et sa femme Pérennelle devaient réciter cette vibrante oraison !

L’idée qu’en eut sans doute, ainsi que nous-même, l’Adepte omniscient (58) du Mutus Liber, le conduisit à figurer le couple sur les 2e, 8e et 11e planches de son bel album. On y voit le ménage philosophal, sous le vase du Grand Œuvre physique, lequel est transparent, luté à la lampe et montre ses phases internes.

L’homme et la femme sont agenouillés, encadrant l’athanor en pleine activité. Lui, se tient les mains jointes, dans le calme et la concentration ; elle, ouvre et tend les bras, dans le geste rituel de la projection fluidique.

C’est la lune qui rend, en abondance, ce que le soleil lui a dispensé.

Aucun artiste, ou amateur de science, ne pouvait inspirer, mieux que Flamel, en son androgynat et sa persévérance, l’impératif conseil dont Le Livre Muet souligne sa pénultième composition et que tout étudiant, ès sciences hermétiques, doit conserver à la mémoire et suivre avec fidélité :

ORA, LEGE, LEGE, RELEGE, LABORA ET INVENIES

Prie, lis, lis, relis, travaille et tu trouveras

Eugène Canseliet


NOTES

(1) Cf. Les Demeures philosophales, Paris Jean Schemit, 1930, p. 169 et suivantes.
Tome I, p. 311 et suiv., de 1’édition parue chez Jean-Jacques Pauvert, à Paris, 1965.
Ce deuxième ouvrage de Fulcanelli vient en suite logique du Mystère des Cathédrales dont il se montre, par surcroît, le développement abondant et précieux, dans le double domaine spirituel et physique du Grand Œuvre. Il apparaît plus actuel aujourd’hui qu’en l’année 1930, lorsqu’il sortit, à son tour, dans l’indifférence, quasi générale, à l’égard de l’alchimie dont il était la voix venue du fond des âges en même temps que la voie conservée par l’unanime tradition.

(2) Histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle sa femme, recueillie d’Actes anciens qui justifient l’origine et la médiocrité de leur fortune contre les imputations des Alchimistes. On y a joint le Testament de Pernelle et plusieurs autres Pièces intéressantes. Paris, G. Desprez, 1761.

(3) Nicolas Flamel. Sa vie - ses fondations - ses œuvres. Suivi de la réimpression du Livre des Figures hiéroglyphiques et de la Lettre de dom Pernety à l’abbé Villain. Bibliothèque Chacornac, 1893, p. X.

(4) Lettre à M… sur celle de dom Pernety, Paris, 1762, in- 12.

(5) Frère Basile Valentin, de l’Ordre de Saint-Benoit. Les douze clefs de la Philosophie, Traduction, Introduction, Notes et Explication des Images par Eugène Canseliet. Editions de Minuit, 1956 et 1969, p. 38.

(6) Nicolas Flamel, op. cit., in fine.

(7) Fréron (Elie-Catherine). L’Année littéraire, 1762. tome III, Lettre, p. 24 à 35.

(8) L’Année littéraire de Féron, op. cit.

(9) Histoire littéraire de la congrégation de Saint-Maur, Paris, 1770, pp 690 et 691.

(10) Dans Trois traitez de la Philosophie Naturelle non encore imprimez, Paris, 1612 : Les Figures Hieroglyphiques de Nicolas Flamel ainsi qu’il les a mises en la quatriesme arche qu’il a bastie au Cimetiere des lnnocens à Paris, entrant par la grande porte de la rue S.Denys, et prenant la main droite, avec l’explication d’icelles par iceluy Flamel.
Pages 47 à 93, avec gravures sur bois dont une grande, en hors texte, qui se déplie.

(11) Histoire critique, op. cit., p. 5.

(12) Bibliothèque Nationale, ms français N° 12 298, p. 54.

(13) Bibl. Nat., ibidem, p. 147.

(14) Bibl. Nat., ms. fr. 12 299, p. 77.

(15) Sauval (Henri), Histoire et Recherches des Antiquitez de la ville de Paris, Paris, 1724, tome III, p. 57.

(16) Figures Hierogliphiques, dans Trois Traitez, op. cit., p. 48.

(17) Ibidem.

(18) Bibliotheca chimica seu Catalogus Librorum philosophicorum hermeticorum, authore Petro Borellio, Castrensi, medico doctore, Parisiis, 1654, p. 95.

(19) Fig. Hierogl., dans Trois Traitez, op. cit., p. 55.

(20) N° 111, mars 1929.
Fidel Amy-Sage est le pseudonyme, quelque peu naïvement tarabiscoté, de Sage qui fut un assidu collaborateur du Voile d’lsis et qui est décédé depuis environ vingt années. Nous tenions ce renseignement de notre vieil ami Louis Marchand, qui, lui aussi, a regagné ce monde ignoré où le passé et l’avenir sont confondus et qu’il visitait en voyance, avec tant d’honnêteté, par le truchement de l’astrologie. Vétéran de l’occultisme de la fin du siècle dernier et du début de celui-ci, il connut très bien Robert Buchère, entre autres nombreux personnages, singuliers ou de réelle valeur, comme Jobert, le docteur Rozier, Sédir, Papus, Barlet, Paul Vulliaud, P-V Piobb, etc. ; en somme, à peu près tous les personnages qui sont décrits par René Schwaeblé, dans son livre : Chez Satan.

(21) Histoire critique… op. cit., pp 5 et 31.

(22) Nous avons-nous-même contrôlé dans L’Art de vérifier les dates dont un exemplaire se trouve parmi les usuels à la Bibliothèque Nationale (casier H).

(23) Fig. Hierogliphiques, op. cit., p. 57.

(24) Hist. crit., op. cit., p. 31.

(25) Hist. critique, op. cit., p. 31.

(26) Porche avait, à cette époque, le sens d’hôtel, de logis séparé pour une réunion de personnes « domus pluribus membris distincta »… en certain hostel ou Porche, où il avoit plusieurs louages en la rue de Saint-Séverin à Paris ». Vide in Glossario Cangii, vocabulum Porchetus.

(27) Essai d’une Histoire de la Paroisse de Saint-Jacques- de-la-Boucherie. Paris, 1758, page 305, en note.

(28) Restauré par Léon Vaudoyer, cet élégant édifice abrite, depuis 1880, la bibliothèque du Conservatoire des Arts et Métiers, ouverte au public.

(29) Le Mystère des Cathédrales, Paris, Jean Schemit, 1926, p. 97, et chez Jean-Jacques Pauvert, 1964, p. 154 : « La Sainte-Chapelle, chef-d’œuvre de Pierre de Montereau merveilleuse châsse de pierre élevée, de 1245 à 1248, pour recevoir les reliques de la Passion, présentait aussi un ensemble alchimique fort remarquable. Aujourd’hui encore, si nous regrettons vivement la réfection du portail primitif, où les Parisiens de 1830 pouvaient, avec Victor Hugo, admirer « deux anges, dont l’un a sa main dans un vase, et l’autre dans une nuée », nous avons, malgré tout, la joie de posséder intactes les verrières sud du splendide édifice. Il semble difficile de rencontrer ailleurs une collection plus considérable, sur les formules de l’ésotérisme alchimique que celle de la Sainte-Chapelle. Entreprendre, feuille à feuille, la description d’une telle forêt de verre, serait une besogne énorme, capable de fournir la substance de plusieurs volumes. Nous nous bornerons donc à en offrir un spécimen extrait de la cinquième baie, premier meneau, et qui a trait au Massacre des Innocents dont nous avons donné plus haut la signification (pl. XXXII). Nous ne saurions trop recommander aux amateurs de notre vieille science, ainsi qu’aux curieux de l’occulte, l’étude des vitraux symboliques de la chapelle haute ; ils y trouveront largement à glaner, de même que dans la grande rose, incomparable création de couleur et d’harmonie. »

(30) L’Alchimie et son Livre Muet, (Mutus Liber), réimpression première et intégrale de l’édition originale de La Rochelle (1677). Introduction et commentaire par Eugène Canseliet, F.C.H., disciple de Fulcanelli, à Paris chez Jean-Jacques Pauvert, 1967. Voir à l’Index les vocables marquants qui se rapportent au présent propos.

(31) Alchimie. Etudes diverses de Symbolisme hermétique et de Pratique philosophale, chez Jean-Jacques Pauvert, 1964, p. 144.

(32) Ce beau vitrail fut sauvé de justesse, en 1876, d’une vandale entreprise de soi-disant embellissement. L’intervention de Victor Hugo fut alors décisive, qui prononça, dans sa manière puissante obéissant à l’antithèse : « Démolir la tour, non ; démolir l’architecte, oui… »

(33) Les Demeures Philosophales, chez Jean-Jacques Pauvert, 1965, tome II, p. 34.

(34) Un exemplaire signé de ce petit bas-relief vernissé de couleur rouge et sorti de l’atelier des Beaux-Arts de Rouen, nous fut offert par notre ami Alex Bloch, qui se penche, lui aussi, avec passion, sur les problèmes soulevés par l’hermétisme, dans l’iconographie, civile ou religieuse, de sa région normande. M. Robert Bonnet, architecte, eut la grande amabilité de nous apporter ce médaillon, à la faveur d’un départ en vacances.

(35) La Métallique Transformation. A Lyon, chez Pierre Rigaud, rue Merciere, à l’Enseigne de la Fortune. 1618. Cette édition est rarissime et plus recherchée que celle de 1561 (in- 8° ) qu’elle reproduit exactement.

(36) Ibidem, f. 5 v°.

(37) Dans Trois Traitez de la Philosophie naturelle, op. cit., p. 73.

(38) Le cimetière des Innocents, qui fut entouré, vers 1397, d’une galerie couverte, ou charnier destiné à recevoir, au fur et à mesure, les ossements exhumés des fosses communes, occupait le vaste rectangle formé par les rues Saint-Denis, de la Ferronnerie, de la Lingerie, enfin la rue aux Fers. Cette dernière et la partie nord du cimetière sont aujourd’hui couvertes par la rue Berger.

L’enclos funèbre fut supprimé en 1780, et les marchands qui, depuis quelques années, s’étaient installés sous les arcades, sans souci du voisinage des macabres dépôts furent chassés par la démolition. On transporta les ossements dans les carrières de Montrouge, plus exactement dans les galeries qui s’étendent sous la capitale et qui changées en immense ossuaire de ses cimetières désaffectés, prirent le nom de catacombes.

(39) Dont plusieurs hommes de science
Ces deux spermes-là sans doutance,
Ont figurez. par deux dragons,
Ou serpens pires se dict-on.
L’un ayant des aisles terribles
L’autre sans aisles, fort horrible.

La Métallique Transformation. op. cit., f. 60 v°.

Pour ces poèmes alchimiques et leurs auteurs, on verra utilement les extraits annotés par Claude d’Ygé, dans son Anthologie de la Poésie hermétique. Editions Montbrun, Paris, 1948, pp. 34 à 62.

(40) En conséquence, si tant est qu’elle soit jamais décédée, le crâne de l’épouse modèle, de la bien-aimée Pérennelle est-il peut-être, parmi le nombre immense de ceux qui tapissent étagés, les galeries souterraines où se pressent les fournées de visiteurs attirés par l’idée d’horrifiques sensations, et descendus jusque-là par l’entrée de la barrière d’Enfer.
Etes-vous aux catacombes, Pérennelle, ou continuez-vous de vivre auprès de votre époux, en quelque lieu secret et béni de ce monde, où l’humain est fixé dans la grâce et le charme d’un passé, pour nous, irrémédiablement défunt et nostalgique ?
Mais laissons ce langage aux poètes dont il se pourrait que nous fussions un peu.
Pérennelle ! Prénom singulier pour lequel nous adoptons à dessein l’orthographe du Bréviaire (nous verrons ce volume plus loin), très voisine de celle des alchimistes de Flers et du texte des Figures, parce qu’elle donne le qualificatif de l’ancien français, avec le sens d’éternité de perpétuité, si parfaitement idoine à la matière. Certes nous n’irons pas ainsi jusqu’à vouloir que Flamel ait personnifié, dans une compagne fictive, le sujet féminin de ses travaux secrets, bien qu’il ne soit pas impossible qu’il ait doté son épouse du prénom évoquant le souverain privilège du chaos primordial et universel. Notons, à ce propos, à l’intention des amateurs de science, que Pérennelle, de qui l’abbé Villain « ne trouva en aucun titre le nom de famille, se maria trois fois », tout comme la femme minérale dans le Grand Œuvre physique.

(41) Histoire critique de Nicolas Flamel et de Pernelle sa femme. Paris, 1761, p. 108.

(42) « Que le lion ait des ailes et que l’ange n’en ait pas, passe encore, mais avouons qu’un taureau sans cornes et qu’un aigle pourvu d’oreilles, de pieds fourchus et d’une queue de serpent, sont des animaux bien curieux. Que l’abbé Villain leur refuse un sens hermétique, c’est son droit, de notre côté, nous refusons énergiquement de voir un taureau et un aigle là où il n’y a que deux dragons. », Nicolas Flamel. Chacornac, Paris, 1893, p. 77.

(43) Celui-ci vient tout de suite après un opuscule de 17 pages, intitulé L’Œuvre royale de Charles VI, Roy de France, dans le recueil comportant encore Cosmopolite, De l’Admirable Pouvoir et Puissance de l’Art et de la Nature, de Roger Bachon et L’Art transmutatoire du pape Jean XXII de ce nom.

(44) Christophori Parisiensis Elucidarium Chimicum Artis transmutatoriœ in Theatro Chimico. Argentorati ab anno 1659 ad annum 1661, volumen VI (Editio ultima, qua non altera melior).

(45) Bibliotheca Chimica seu Catalogus Librorum philosophicorum hermeticorum, Authore Petro Borellio, Parisiis, 1654, p. 96.

(46) Bibl. Nat. ms. fr. N° 19 978.

(47) Bibliotheca Chimica seu Catalogus. Op. cit., p. 96.

(48) Nous connaissons à la Bibliothèque Nationale, les manuscrits français :
N° 9221, sur parchemin avec miniatures et portant la signature du duc de Berry.
N° 3431 (nouv. acquisitions) : Quelques feuillets d’une bible.

(49) « Sçachent tuit que je Jehain Flamel congnois et confesse avoir eu et receu de Guillaume Lemoine Receveur du demaine de Monseigneur le Duc d’Orléans, la somme de dix livres cinq solz quatre deniers parisis. Pour cause de l’escripture de certains fiefs par moy faicte en parchemin par l’ordonnance de Messeigneurs de la Chambre des comptes de mon dit Seigneur le Duc. Contenans iceulz fiefs et aucuns denombremens du duchié d’Orléans sept vins quatorze fueillez en vint kaiers. Dont pour chascun fueillet a esté tauxé par mes diz seigneurs de la chambre, rabatu le parchemin qu’ilz m’avoient fait livrer pour ce faire, seize deniers parisis qui font la ditte somme de X.I.V. s. IIII dr p… De la quele je me tiens pour content et en quitte le dit Receveur et tous autres a qui il appartient. Tesmoing ceste quittance escripte de ma main et signée de mon seing manuel, le XXVe jour de Juing, l’an mil quatre cens et un. »
Bibl. Nat. ms. nouvelles acquisitions françaises N° 3640, pièce originale N° 384.
Tuit est une vieille forme de tous. Voyez le Dictionnaire de Godefroy, au mot tout.
Nous lisons bien Jehain, avec la petite barre abréviative qui permet peut-être de dégager Jehanin.

(50) Trésor de Recherches et Antiquitez Gauloises et Françoises, par P. Borel, Conseiller et Médecin ordinaire du Roy, Paris, 1655, p. 161.

(51) Bibl. Nat. fonds latin, ms, N° 6741. Ce recueil, qui a été écrit en l’année 1341 (Is codex anno 1431 exaratus est) contient cinq autres traités des couleurs.

(52) Histoire et Recherches des Antiquités de la ville de Paris, Paris, 1724, t. III, p. 257 ; De lez, c’est-à-dire de côté, de large.

(53) Le Livre des Figures Hierogl. Op. Cit. p. 50.

(54) Trésor des Recherches, op. cit. supra, p. 162. Dans sa Bibliothèque chimique ou Catalogue des Livres philosophiques-hermétiques, Pierre Borel précise page 9 : J’ai vu ce manuscrit - Illum vidi Ms.

(55) Le Livre des Figures Hieroglyphiques, ouvr. cité ci-dessus, p. 50.

(56) Le Livre des Fig. Hier.., ouvr. cité ci-dessus, p. 50.

(57) Vide in Musæo Hermetico, reformato et amplificato, continente tractatus chimicos XXI præstantissimos, Francofurti, 1677 - Vois dans le Musée hermétique, revu et augmenté, contenant vingt et un très excellents traités de chimie, à Francfort tome III, p. 140 et 141 : Hydrolithus sophicus seu Aquarium Sapientum - L’eau-pierre sophique ou la Citerne des Sages.

(58 ) Suivant le sens du latin Adeptus, l’Adepte est l’alchimiste qui a réalisé le Grand Œuvre, et qui, conséquemment, est bénéficiaire du Don de Dieu.



OUVRAGES PRINCIPAUX D'EUGENE CANSELIET
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Deux logis alchimiques, en marge de la science et de l'histoire

Les Douze clefs de la Philosophie, de Basile Valentin
Traduction, notes, explication des images, 
avec une introduction de 54 pages par Eugène Canseliet

Alchimie
Etudes diverses de symbolisme hermétique et de pratique philosophale

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